L'imagerie ultra-rapide ou comment capturer des images à la vitesse de la lumière

Résumé court

De nombreux phénomènes physiques, chimiques ou biologiques se déroulent sur des échelles de temps dites “ultra-courtes”, de la nanoseconde à la centaine de femtosecondes, et de manière non-reproductible. Toutefois, leur capture est généralement impossible à l’aide de technologies classiques, ce qui a conduit dans la dernière dizaine d’année à l’émergence des techniques d’imagerie ultra-rapide dites “single-shot”. Les remarquables progrès réalisés récemment dans ce domaine, notamment à travers le contrôle et la mise en forme d’impulsions lumineuses ultra-brèves et le développement de techniques de capture originales, basées ou non sur l’utilisation de méthodes numériques a posteriori, a permis le suivi d’événements courts ou imprévisibles avec une précision sans précédent. Des phénomènes auparavant inaccessibles ont ainsi pu être capturé avec une résolution temporelle adaptée : propagation d’ondes de chocs, ablation laser, génération de plasma, fluorescence, ou même la propagation de la lumière elle-même, pour n’en citer que certains. Nous donnerons dans cette conférence une vue d’ensemble des avancées en imagerie ultra-rapide et détaillerons les principales technologiques clés au cœur de celles-ci. 

BIO

Thomas Godin est Maître de Conférences à l’Université de Rouen Normandie depuis 2014 et chercheur au laboratoire CORIA (CNRS – Université et INSA de Rouen) au sein du Département Optique et Lasers. Il a effectué sa thèse à l’Université de Caen en collaboration avec l’Université de Sao Carlos (Brésil) et le National Laser Center de Prétoria (Afrique du Sud) sur la mise en forme de faisceaux laser puis un post-doc à l’Institut FEMTO-ST (Besançon) dans un consortium international pour l’étude des vagues scélérates et des évènements extrêmes en optique. Il co-anime avec Ammar Hideur (Pr. Univ. Rouen) les activités du CORIA sur la métrologie ultra-rapide et les sources laser et coordonne plusieurs projets de recherche sur l’application de méthodes d’imagerie ultra-rapides à des thématiques au-delà du domaine de l’optique fondamentale.

Résumé long

L’imagerie optique rapide est une technologie incontournable pour observer des scènes en mouvement sans effet de flou, et ce dans tous les domaines scientifiques. Depuis la première photographie par Nicéphore Nièpce en 1828, qui nécessitait plusieurs jours (!) de temps de pose, l’homme n’a eu cesse de chercher à réduire ce temps d’exposition. Jusqu’à la fin du 19ème siècle la photographie ne restait ainsi qu’un moyen de partager aux autres ce que l’œil pouvait déjà voir… Tout changea avec la première « chronophotographie » par Muybridge en 1878 et sa séquence iconique (voir Figure 1) décomposant le mouvement d’un cheval au galop. Pour la première fois un phénomène inaccessible à la vision humaine était capturé, et l’Homme pouvait répondre à une question existentielle : est-ce qu’un cheval au galop décolle ses quatre pattes du sol lors de sa course ?!

Fig. 1 : «The Horse in Motion». E. Muybrigde, 1878, 10 images en 40 ms

Depuis, les technologies ont bien évolué mais l’imagerie rapide est restée jusqu’à aujourd’hui un domaine sous le feu des projecteurs avec comme objectif de repousser les limites de l’instrumentation et de capturer des évènements toujours plus fugaces… Des cadences d’acquisition de quelques milliers d’images par seconde (fps – frame per second) ont été atteintes dans les années 80 mais une vraie « révolution » a été initiée par l’avènement des capteurs CCD et CMOS à la fin des années 90 qui permettent aujourd’hui de trouver des caméras commerciales dites ultra-rapides qui sont relativement démocratisées et qui permettent d’atteindre plusieurs centaines de milliers de fps (= ?? seconde entre chaque image). Leurs utilisations sont multiples, depuis les youtubeurs réalisant des vidéos « grand public » en ultra-slow-motion jusqu’au scientifiques de différents domaines exploitant ces nouvelles capacités technologiques pour analyser une myriade de phénomènes dynamiques ultra-brefs. Il serait difficile de faire une liste exhaustive de ces phénomènes, tant le nombre de domaines impactés est grand mais l’imagerie ultra-rapide a ainsi beaucoup apporté à des sujets aussi variés que la biomécanique, la dynamique des fluides, la physique des matériaux ou les dynamiques moléculaires.

Toutefois, pour des échelles de temps inférieures à la nanoseconde, ces caméras ultra-rapides se révèlent aveugles et de nouvelles techniques de métrologie ont dû être développées. Sachant que pour capturer un phénomène court et donc « décomposer » son mouvement, il faut utiliser un signal optique au moins aussi court (rappelez-vous du stroboscope en boite de nuit…), l’avènement récent des lasers impulsionnels ultra-brefs et ultra-intenses (cf prix Nobel 2018) a permis des avancées conséquentes dans le suivi des dynamiques rapides. Les méthodes les plus connues sont dites « pompe-sonde », où l’on utilise une impulsion lumineuse ultra-courte pour déclencher le phénomène d’intérêt et une autre pour le capturer (cf femto-chimie, prix Nobel 1999). Cependant, cette grande famille de techniques se limite à des évènements qui sont parfaitement reproductibles (= répétables) et ne permet ainsi pas la capture de phénomènes non-répétitifs, transitoires ou irréversibles…

Cette contrainte a pu être contournée récemment (depuis les années 2010) avec le développement de technique d’imagerie dites « single-shot » [1,2], pouvant aujourd’hui enregistrer des séquences courtes à des cadences très élevées supérieure au Téra-fps (>1012 images/s). Ces remarquables progrès, atteints notamment à travers le contrôle et la mise en forme d’impulsions lumineuses ultra-brèves et le développement de techniques de capture originales, basées ou non sur l’utilisation de méthodes numériques a posteriori, a permis le suivi d’événements courts ou imprévisibles avec une précision sans précédent. Des phénomènes auparavant inaccessibles ont ainsi pu être capturé avec une résolution temporelle adaptée [3-5] : propagation d’ondes de chocs, ablation laser, génération de plasma, fluorescence, ou même la propagation de la lumière elle-même – le phénomène le plus rapide qu’il soit ! A-t-on atteint une limite technologique en termes de capture d’évènements courts ? Ces nouvelles techniques sont-elles compatibles avec des utilisations en « conditions réelles » ?

Fig. 2 : Imagerie ultrarapide d’un cône de Mach [6]

Références

[1] Liang, J. Y. & Wang, L. V. “Single-shot ultrafast optical imaging”, Optica 5 (2018). https://doi.org/10.1364/OPTICA.5.001113

[2] Goda, K., Tsia, K. K. & Jalali, B. “Serial time-encoded amplified imaging for realtime observation of fast dynamic phenomena”, Nature 458 (2009) https://doi.org/10.1038/nature07980

[3] Gao, L. et al. “Single-shot compressed ultrafast photography at one hundred billion frames per second”, Nature 516 (2014) https://doi.org/10.1038/nature14005

[4] Nakagawa, K. et al. “Sequentially timed all-optical mapping photography (STAMP)”, Nature Photonics 8 (2014) https://doi.org/10.1038/nphoton.2014.163

[5] Touil M, Idlahcen S, Becheker R, et al. “Acousto-optically driven lensless single-shot ultrafast optical imaging”, Light: Science & Applications 11 (2022) https://doi.org/10.1038/s41377-022-00759-y

[6] Liang, J. Y. et al. “Single-shot real-time video recording of a photonic mach cone induced by a scattered light pulse”, Science Advances 3 (2017) https://doi.org/10.1126/sciadv.1601814